Charges de gardiennage et d’entretien / Conditions de récupération auprès des locataires
Cass. Civ. III : 27.9.06
A deux reprises, le même jour et dans les mêmes termes, dans des affaires concernant respectivement un bailleur privé et un organisme HLM, la Cour de cassation vient de trancher de la manière la plus nette une difficulté d'interprétation du décret relatif aux charges locatives récupérables en matière d'entretien des immeubles et de gardiennage.
Les textes applicables (décret du 26.8. 87 : art 2-c et d) précisent en effet que :
c) lorsque l'entretien des parties communes et l'élimination des rejets sont assurés par un gardien ou un concierge, les dépenses correspondant à sa rémunération, à l'exclusion du salaire en nature sont récupérables à concurrence des trois quarts de leur montant,
d) lorsque l'entretien des parties communes et l'élimination des rejets sont assurés par un employé d'immeuble, les dépenses correspondant à sa rémunération et aux charges sociales et fiscales y afférent, à l'exclusion du salaire en nature sont exigibles en totalité, au titre des charges récupérables.
Cette différence de traitement s'explique par le fait que, dans le cas des gardiens, ceux-ci effectuent en plus des tâches d'entretien courant de l'immeuble et d'élimination des rejets, divers travaux pour le compte du bailleur : surveillance de l'immeuble destinée à assurer au locataire la jouissance paisible de son logement, visite des logements vacants avec les candidats locataires, rédaction des états des lieux, réception et surveillance des entreprises qui réalisent les travaux etc.
Les missions hors ménage et sortie des poubelles effectuées par les gardiens se sont développées au fil du temps dans certains immeubles, alors même que la quote-part des trois quarts des salaires et charges sociales récupérée n'a pas évolué.
Par ailleurs la réduction du temps de travail et les évolutions en matière de ramassage des déchets ont rendu nécessaire le recours à des entreprises de nettoyage ou des personnels d'entretien supplémentaires, ce qui a eu pour effet d'alourdir les coûts et d'aviver les conflits entre les bailleurs et leurs locataires quant à la part de ce qui, dans les tâches effectuées par les gardiens, l'était pour le compte de ces derniers.
Depuis de nombreuses années des discussions ont eu lieu, sans succès, au sein de la Commission Nationale de Concertation pour faire évoluer les textes. Dernier en date, un rapport de juin 2003 de Philippe Pelletier, Président de l'ANAH, préconisait des solutions censées mieux prendre en compte l'évolution des métiers de gardien et les services apportés au locataire.
Pendant ce temps, les contentieux ont prospéré. Une première fois en 1997, la haute Cour a précisé que la rémunération d'un gardien au titre de l'entretien des parties communes ne peut être récupérée auprès des locataires, dès lors que celui-ci n'effectue que des tâches de contrôle et surveillance et que l'exécution de ces travaux est confiée à d'autres (Cass. Civ. III : 8.10.97). Une seconde fois en 2002, la Cour de cassation a indiqué que les deux tâches, entretien des parties communes et élimination des rejets, devaient être effectuées cumulativement par la même personne pour être récupérées (Cass. Civ. III : 7.5.02).
Dans les cas présents, la question posée à la Cour de cassation, qui concerne un grand nombre d'immeubles, était de savoir si les dépenses de gardien sont récupérables au trois quart alors même que celui-ci n'effectue pas la totalité de l'une ou l'autre tâche d'entretien et de sortie de poubelle, mais les partage avec un tiers, société spécialisée ou personnel exclusivement dédié à l'une ou l'autre tâche.
A cette question, la Cour répond par la négative en se fondant sur une application littérale du texte dont elle fournit l'explication. L'emploi du verbe " assurer " et non du verbe " participer " dans le texte, implique que la récupération partielle n'est possible que lorsque le gardien effectue seul ces travaux d'entretien et d'élimination des rejets, à l'exclusion de tout partage de ces activités avec un tiers.
A l'avenir, les bailleurs confrontés à cette situation, devraient appliquer la récupération des charges dans les conditions posées par la Cour. Compte tenu des coûts que cela implique, notamment pour les organismes HLM qui ne peuvent véritablement moduler les loyers en fonction du service rendu, il est probable que certains ne le feront pas au risque d'un hypothétique contentieux avec l'un ou l'autre de leur locataire ou d'une évolution des textes. Toutefois, l'introduction dans notre droit de la possibilité de faire des recours collectifs devant les tribunaux sur le modèle de la " class action " applicable outre Atlantique ne fera qu'accentuer les risques contentieux dont le coût peut se révéler extrêmement lourd si l'on prend en compte la prescription en matière de charges locatives, qui permet de demander la restitution du trop payé sur cinq ans au maximum.
La position de la Cour de cassation pourrait également avoir des conséquences dommageables pour l'emploi des concierges et des gardiens, alors que tout le monde s'accorde sur l'importance de leur action pour maintenir la qualité de vie des immeubles.