Clauses abusives dans les contrats de prêt immobilier en francs suisses
CJUE : 10.6.21
décisions jointes C-776/19 à C-782/19 et C-609/19
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée sur l’interprétation de la directive sur les clauses abusives (directive 93/13/CEE du Conseil du 5.4.93) dans deux arrêts relatifs aux contrats de prêts libellés en francs suisses, répondant ainsi aux questions préjudicielles posées par les juridictions françaises.
Dans la première affaire, une banque avait commercialisé des prêts en francs suisses remboursables en euros (décisions jointes C-776/19 à C-782/19 / demande de décision préjudicielle présentée par le TGI de Paris : 22.10.19). À la suite de la dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse, les emprunteurs ont rencontré des difficultés pour rembourser les prêts hypothécaires souscrits. Ils ont alors assigné la banque pour faire reconnaître le caractère abusif des clauses instituant ce mécanisme.
La CJUE a répondu aux questions préjudicielles du TGI de Paris, concernant notamment :
- la prescription de la demande de reconnaissance d’une clause abusive ; pour mémoire, pour soulever le caractère abusif d’une clause d’un contrat de prêt conclu entre un professionnel et un consommateur, le droit français fait courir un délai de prescription de cinq ans à compter de la date d’acceptation de l’offre du prêt en cause (CC : art. 2224). La CJUE avait déjà jugé qu’une législation nationale ne pouvait pas soumettre à prescription la possibilité pour le juge de soulever d’office le caractère abusif d’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur (CJUE : 9.7.20). Elle vient préciser que pour assurer une protection effective des droits du consommateur, celui-ci doit pouvoir soulever, à tout moment, le caractère abusif d’une clause contractuelle. Dès lors, la demande du consommateur pour faire constater le caractère abusif d’une clause ne peut être soumis à un délai de prescription ;
- la prescription de la demande de restitution des sommes indûment versées ; la CJUE avait déjà jugé que cette action pouvait être soumise à un délai de prescription (CJUE : 9.7.20 / CJUE : 16.7.20). Cependant, elle précise que le fait que ce délai commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt méconnaît le principe d’effectivité, puisque le délai risque d’avoir expiré avant que le consommateur n’ait pu réaliser le caractère abusif de la clause. Le principe d'effectivité exige en effet que la protection des droits que tirent les particuliers du droit de l'Union ne soit pas soumise à des conditions de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice de ces droits ;
- l’exigence de transparence sur le risque de change ; la Cour considère que l’emprunteur doit être clairement informé du fait que, en concluant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s’expose à un risque de change qui lui sera préjudiciable en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus. Pour satisfaire à l’exigence de transparence, la clause doit permettre à un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives. Elle ajoute que la charge de la preuve du caractère compréhensible d’une clause contractuelle incombe au professionnel ;
- le déséquilibre significatif ; la Cour relève pour la première fois que les clauses d’un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change (sans qu’il soit plafonné) sur l’emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au détriment du consommateur ; elles doivent donc être considérées comme abusives.
Par ailleurs, la deuxième affaire concernait les modalités d’imputation des paiements de ce type de prêt (CJUE : 10.6.21, n° C-609/19 / demande de décision préjudicielle présentée par le TGI de Lagny-sur-Marne : 13.8.19). À la suite d’impayés de mensualités, la banque avait prononcé la déchéance du terme. Les emprunteurs invoquaient le caractère abusif des clauses qui stipulaient que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoyaient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités. La CJUE estime qu’il revient à la juridiction nationale de déterminer si les clauses d’imputation constituent un élément essentiel du contrat.