Habitat indigne : note de jurisprudence sur le relogement des étrangers en situation irrégulière dans les opérations d’aménagement ou de lutte contre l’habitat indigne
À jour au 12 octobre 2016
Le relogement ou l’hébergement temporaire des étrangers en situation irrégulière dans les opérations d’aménagement et dans les opérations de lutte contre l’habitat indigne relèvent de l’ordre public social et ne peut être constitutif d’un délit d’aide au séjour irrégulier (code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : art L.622-1 / CA Paris :16.12.10, décision confirmée en Cass. Civ. III : 12.9.12).
L’obligation de relogement des étrangers en situation irrégulière à la charge de l’aménageur est conforme à la Constitution (QPC n° 2016-581 du 05 octobre 2016).
Cependant, le relogement ne peut intervenir dans un logement du parc social (du fait de l’exigence d’un titre de séjour régulier).
Les réponses concrètes qui pourront lui être proposées relèvent de la mobilisation du parc privé (éventuellement par le biais d’un organisme agréé d’intermédiation locative), ou selon les circonstances, de l’hébergement d’urgence.
Le relogement ou l’hébergement temporaire relève de l’ordre public social
Le droit à relogement ou à l'hébergement
Dans les procédures de lutte contre l’habitat indigne
Lorsqu’un immeuble fait l’objet d’une interdiction temporaire d’habiter ou d’une interdiction définitive d’habiter ou encore en cas d’évacuation temporaire ou définitive, le propriétaire ou l’exploitant est tenu d’assurer respectivement un hébergement temporaire ou un relogement définitif. En cas de défaillance du propriétaire, cette obligation incombe au maire ou au préfet selon la mesure de police concernée (CCH : L.521-3-1 et L.521-3-2).
Les occupants protégés sont précisément définis (CCH : L.521-1).
Il s’agit, selon les cas, des titulaires d’un droit réel (droit de propriété) ou personnel (contrat de location, contrat d’hébergement, contrat de sous-location, contrat de cession ou d’échanges de bail, droit au maintien dans les lieux…) ou encore des occupants de bonne foi.
Cet article ignore la situation administrative des occupants au regard de leur séjour et concerne donc les personnes étrangères en situation régulière ou non.
Dans les opérations d’aménagement
La personne publique ayant pris l’initiative de la réalisation d’une opération d’aménagement (CU : livre III) est tenue à l’égard des occupants à une obligation de relogement, dès lors que les travaux nécessitent leur éviction définitive (CU : L.314-2 et L.314-3).
Les occupants sont (CU : L.314-1) :
- les occupants au sens de l’article L.521-1 (voir ci-dessus) ;
- et les preneurs de baux professionnels, commerciaux, industriels et ruraux.
La personne qui est en charge de l’opération d’expropriation doit proposer à l’occupant de bonne foi de locaux à usage d’habitation deux offres de relogement correspondant aux besoins de sa famille, ainsi qu’à ses possibilités, et n’excédant pas les normes HLM dans la commune de son lieu de résidence ou des communes limitrophes ou dans l’arrondissement limitrophe ou les arrondissements limitrophes (CU : L.314-2, al.1er, L.314-1, al.2, loi du 1.09.48 : art.13 bis).
Le délit d’aide au séjour irrégulier n’est pas constitué (CA Paris : 16.12.10, décision confirmée en Cass. Civ. III : 12.9.12)
Le délit d’aide au séjour irrégulier prévoit que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de 5 ans et d’une amende de 30 000 euros » (CESEDA : L.622-1).
La Cour d’appel de Paris confirme, que dans le cadre des expropriations et opérations d'aménagement, la réparation du préjudice et l'obligation de relogement s'imposent pour les occupants de bonne foi qu'ils soient ou non en situation régulière dans la continuité de la décision du TGI de Paris (TGI : 26.5.08).
Le premier juge avait retenu que les occupants avaient droit au relogement en relevant que les dispositions du code de l’urbanisme ne posant aucune condition relative à leur situation administrative, seule devait être recherchée la nature de l’occupation.
La Cour d’appel souligne que l’obligation de reloger « relève de l’ordre public social et concerne tous les occupants de bonne foi au sens de l’article L 521- 1 lequel ne distingue pas suivant que l’étranger est ou n’est pas en situation irrégulière, que l’obligation de reloger n’impose pas à la personne publique que ce relogement soit effectué dans un logement attribué par un organisme HLM et que, en l’absence d’agissements intentionnels en vue de dissimuler l’identité de l’étranger ou de volonté de préserver la clandestinité , la seule circonstance pour quiconque de lui consentir malgré l’irrégularité de son séjour , un relogement n’est pas constitutive d’un délit au sens de l’article L 622-1 qui ne vise que l’aide directe ou indirecte à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier de l’étranger et qui est comme toute loi pénale d’interprétation stricte ».
Elle apporte ainsi un éclairage intéressant sur la constitution de ce délit qui nécessite des agissements intentionnels en vue de dissimuler l’identité de l’étranger ou de préserver sa clandestinité.
La loi ne saurait réprimer ce qu’elle ordonne
La loi ne saurait réprimer ce qu’elle autorise ou ordonne : « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires » (code pénal : 112-4, al.1er).
L’obligation de relogement est inscrite dans la loi :
Le code de l’urbanisme (L.314-2) pour les opérations d’aménagement, le code de la construction et de l’habitation en matière de police contre l’habitat indigne (L.521- 3-1) font obstacle à des poursuites pénales du chef d’aide au séjour irrégulier.
Le principe d’indépendance des législations renforce l’idée d’un droit au relogement et à l'hébergement des étrangers en situation de séjour irrégulier
Les juges du fond ont déjà retenu la même solution, mais sur un autre fondement. Ainsi, en vertu du principe de l’indépendance des législations, ils ont estimé que l’autorité expropriante n’est pas juge de la régularité du séjour des étrangers sur le territoire français, cette condition n’étant pas incluse, par ailleurs, dans les dispositions applicables en la matière (TGI Paris, 26.5.08). L’obligation de reloger «relève de l’ordre public social et concerne tous les occupants de bonne foi au sens de l’article L 521-1, lequel ne distingue pas suivant que l’étranger est ou n’est pas en situation irrégulière» (CA Paris : 16.12.10).
L'obligation de relogement des étrangers en situation irrégulière à la charge de l’aménageur est conforme à la constitution
QPC n° 2016-581 du 05 octobre 2016
Les dispositions relatives à l'obligation de reloger les occupants de bonne foi dans le cadre d'opérations d'aménagement urbain (Code de l’urbanisme : L.314-1 et L.314-2) ont fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation ayant retenu le caractère sérieux de la question posée. (Voir : Cass. Civ III : 13.7.16).
Dans sa QPC, le demandeur faisait valoir que le relogement des occupants de bonne foi en situation irrégulière sur le territoire français en vue d’une opération d’aménagement, porterait une atteinte disproportionnée droit de propriété. En effet, le relogement de ces personnes ne peut intervenir légalement dans le parc social et est difficile à mettre en œuvre dans le parc privé (relogement dans le parc privé via l’intermédiation locative ou logement de transition dans l’attente d’un relogement définitif).
La constitutionnalité de l’obligation de reloger les occupants de bonne foi dans le cadre d’opérations d’aménagement est confirmée (CCH : L.314-2). Le Conseil constitutionnel considère en effet :
- que l’obligation de relogement instituée par les dispositions contestées n'entraîne aucune privation de propriété (au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789) ;
- qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu protéger les occupants évincés et compenser la perte définitive de leur habitation du fait de l'action de la puissance publique. Ainsi, l'obligation de relogement, en cas d'éviction définitive, met en œuvre l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent ;
- qu’à supposer que le relogement des occupants évincés soit susceptible de se heurter à des difficultés pratiques, celles-ci ne sauraient être retenues pour l'examen de la constitutionnalité des dispositions contestées ;
- qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le fait de reloger dans le cadre et les conditions déterminées par l'article L. 314-2 du code de l'urbanisme ne peut caractériser une infraction pénale. L'obligation de relogement prévue par les dispositions contestées ne peut donc exposer à des poursuites pénales pour délit d'aide au séjour irrégulier.
La même analyse devrait valoir en habitat indigne : le propriétaire étant tenu dans les mêmes conditions à une obligation d’hébergement ou de relogement.